Dans le billet sur l’organisation de la séance d’instrument, j’ai fait une brève allusion aux mécanismes de la concentration et de l’attention. Dans ma conception des choses, un geste instrumental ou une phrase musicale qui n’est pas réalisé dans un état d’attention optimale n’amène pas au meilleur résultat dont nous soyons capables. L’objectif étant de pouvoir jouer de notre mieux, quelle que soit l’occasion, il s’agit de mettre cette capacité en action !

C’est quoi la concentration ?
Combien de fois entendons-nous dans notre vie une phrase du genre « concentre-toi bien sur ce passage? » Ces injonctions comportent souvent une notion un peu anxiogène quand on est enfant et parfois cela reste quand on grandi. Très rapidement, ces mots peuvent être associées à du danger, comme si une fausse note pouvait être la source d’un terrible malheur.
L’autre souci, c’est que bien souvent nous ne savons pas ce que c’est qu’être concentré. C’est une chose demandée à l’école, en musique, en sport, en conduite, mais personnellement, je n’ai jamais reçu une définition claire de ce que c’est. Ce qui amène la majorité des personnes à se contracter en arrivant sur un passage difficile et bien souvent à ne pas le réussir aussi bien qu’ils le devraient, car c’est la réaction causée par la crainte d’un danger ou simplement l’inconnu.
J’aime beaucoup chercher l’étymologie des mots pour comprendre leur sens. Ici, le centrum est du latin emprunté à du grec, signifiant l’aiguille du compas. Le suffixe, dérivé du latin cum, a été ajouté au XII° et peut être traduit par rassembler, ou avec. Si on fait la synthèse, cela amènerait à « avec un centre, un point » ou plutôt « rassembler au centre, en un point ». Le point étant le sujet, le cercle, tout ce qui est autour, et nous devrions faire abstraction de ce qui est autour pour ne pas nous laisser distraire.
C’est là que je préfère vous dire de suite que je n’aime pas le mot concentration : comment le fait de focaliser notre attention et toutes nos capacités sur une note pourrait nous amener à mieux jouer un morceau ? Ne pas être distrait par ce qu’il y a autour revient-il à isoler un passage en le coupant du discours musical ? Et qu’est ce que c’est que jouer une note à part l’assemblage complexe d’actions simultanées ? Dans cette optique des choses, je préfère les termes de disponibilité et de présence.
C’est quoi la disponibilité et la présence ?
J’ai choisi ces deux mots à dessein car ils sont complémentaires. La présence est l’objectif, la disponibilité est le moyen.
Je vous dispense d’étymologie pour ne pas y passer l’article. Etre présent c’est mettre toute notre attention sur ce qu’on est en train de faire, et nuance importante, comment on le fait. Plus nous sentirons de quelle façon nous réalisons un action qui va nous permettre de modifier certains paramètres afin d’obtenir un résultat différent.
Pour pouvoir être présent il faut se rendre disponible, c’est à dire que notre conscience doit être prête à se focaliser sur l’action. Il est facile de se laisser emporter par une pensée et perdre le fil du présent.
Le réflexe premier est de penser que nous devons former une espèce de carapace autour de nous afin de nous protéger des perturbations, c’est ce que nous faisons quand nous essayons de nous concentrer.
Au contraire la présence c’est être ouvert et conscient à la fois de l’action que l’on entreprend, de l’objectif musical que nous avons, des émotions et pensées que cela soulève. Tout cela est un tout. Imaginez une peinture pleine de couleur, mettez un filtre pour ne voir que le vert, vous perdrez toute la beauté de l’ensemble. Etre disponible et présent c’est voir la peinture dans son ensemble, avec tous ses détails et les interactions qui existent entre eux.
Qu’apportent la disponibilité et la présence ?
« La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent »
Cette phrase attribuée à Albert Einstein résume ma conception du peaufinage de la technique instrumentale. Si quelque chose de marche pas (en considérant que votre matériel est en bon état), c’est que quelque part il faut changer quelque chose. Cela permet réellement de progresser. Au lieu de devoir répéter des heures durant un passage difficile, si nous arrivons à trouver le geste juste pour un morceau, nous saurons le retrouver dans le futur ! La disponibilité et la présence apportent donc un geste technique plus fiable.
Lorsque nous avons construit notre carapace dans notre espace de travail ou en nous insensibilisant à la présence des autres, nous ne sommes pas vraiment prêts à la prestation devant public. Jouer devant les autres c’est échanger avec eux, ils entrent dans le présent du morceau que nous interprétons. De manière inconsciente nous le savons, et c’est pourquoi nombre d’artistes perdent leurs moyens devant le public. Les émotions que nous sommes forcés de ressentir à ce moment, entrent en conflit avec l’atmosphère sécurisée que nous avions créé autour de nous et notre corps se retrouve en roue libre.
Entrainés à ancrer notre pratique dans le présent, il n’y a pas de crainte à avoir, nous saurons nous adapter à la situation. Le présent du morceau avec public prend tout son sens et ce n’est plus nous qui jouons, mais le compositeur, et la salle entière qui participe à cet instant unique. La théorie est bien belle me direz-vous, mais avez-vous seulement essayé ?
Dans l’article de la semaine prochaine, je parlerai du principal obstacle à la présence, et de mon approche pour progresser dans ce domaine.
Bonne pratique et n'oubliez pas de vous amuser !
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