Parmi les mystères de la musique il y a le silence. La phrase proverbiale qualifiant le silence d’après Mozart comme étant toujours du Mozart est applicable à tous les compositeurs bien sûr. J’ajouterai que le silence avant, est tout aussi empreint d’intention.
Pourquoi accorder autant d’importance à ces moments de silence alors qu’on pourrait être davantage centrés sur la Musique en elle même ? C’est la question que je me posais plus jeune et à laquelle je commence à trouver des réponses.
La première explication se trouve dans quelques uns des articles que j’ai écrit plus tôt : un sas avant, un sas après. Un moment pour visualiser ce que nous allons faire, pour s’ancrer dans l'instant et accorder notre être à celui de nos auditeurs.
Chacun peut trouver sa ou ses réponses, je vais me centrer ici sur la dernière en date dans mon expérience.
Cette explication m’est venue en discutant avec un ami photographe qui insistait énormément sur l’ombre dans ses clichés. Je lui ai alors demandé en quoi l’ombre, ce qui par définition est invisible, n’est pas une couleur ni de la lumière, pouvait être aussi centrale dans sa réflexion artistique. Il m’a répondu que pour lui l’ombre permettait de mieux faire ressortir la lumière. J’ai aussitôt fait le parallèle avec cette question qui me taraudait depuis si longtemps.
Sans musique pas de silence, mais sans silence pas de musique
L’importance des contrastes
Je me suis donc mis à entendre et jouer différemment la musique et le silence qui l’habite. Comme une partie obscure dans une photographie stimule l’imagination et laisse fantasmer la part manquante.
Le silence permet à l’auditeur de compléter la musique intérieurement et de se l’approprier
Le silence peut être total comme une suspension, ce moment où un objet jeté en l’air, semble un instant s’arrêter et flotter avant de céder à la force de l’attraction. Le silence peut être incomplet, une respiration, un glissement de doigt sur une corde, une pédale qui se relève, qui ramènent à la charnalité de l’interprète.
Après ces réflexions, j’ai alors réalisé qu’il en était de même pour les notes tenues et les traits rapides, les nuances, les variations de tempo, la respiration, la Vie.
C’est dans la proportion et le contraste que nous donnons aux différents paramètres musicaux que se trouve notre singularité. Cela est basé sur une subjectivité assumée et doit guider nos réflexions artistiques, tout comme notre appréciation des interprétations des autres.
Oser le silence
Je ne suis pas un grand adepte de la systématisation de l’interprétation. Jouer deux fois le même morceau de la même façon n’est pas pour moi un signe de maîtrise, mais plutôt un déguisement posé sur notre âme. C’est pourquoi mesurer le silence est risqué.
L’effet peut se perdre et s’affadir si nous en usons et abusons.
Encore une fois c’est l’expérimentation qui nous amènera à développer nos goûts et à oser le silence. Combien de débutants sautent les silences, ou raccourcissent leurs tenues ? Ce n’est pas un hasard, pour moi il y a une peur derrière. Une peur de s’arrêter, de perdre en intérêt.
La vie de nos jours est synonyme de mouvement et d’activité, s’arrêter, faire silence reviendrait à disparaitre un peu, donc à mourir
C’est cette angoisse, ce vertige que nous devons vaincre. Cette expérience procure une adrénaline incroyable et une sensation indéfinissable lorsque nous la réalisons. Vivre le silence et en jouir au lieu de le craindre. L’habiter et le regarder en face, rendra les moments musicaux plus vivants et brillants. Le silence attire l’attention aussi, et crée de la tension et une attente de la part du public. Bien dosé il est redoutablement efficace.
Utiliser les contrastes
Comme je l’ai dit plus tôt, si le silence est le pendant du son, de la musique, l’immobilité est celui du mouvement, et la douceur celui de la force. Je reste sur ces trois exemples, mais bien sûr les variations de timbre ainsi que tous les paramètres propres à chaque instrument sont régit par le même rapport.
Ce sont les contrastes qui rendront nos interprétations encore plus remarquables. Comment faire ressortir mieux une suite de notes rapides qu’après une note allongée ? Comment faire bien entendre un crescendo sans avoir commencé suffisamment doucement ?
Chaque effet recherché doit faire l’objet d’une attention pour lui-même mais aussi pour la place qu’il occupe dans son contexte
Amusez vous à chercher quels sont pour vous les moments marquants des morceaux que vous interprétez et à les souligner en les encadrant de leurs opposés. Les premiers résultats ne sont pas toujours heureux, il y a un équilibre à trouver. Tout comme je le disais plus tôt, être trop prévisible rendra ces effets écœurants et trop machinaux. Du contraste dans les contrastes !
Il n’y a pas de règle, malgré notre inclination à vouloir une solution unique. Néanmoins, un équilibre parfait est séduisant. Heureusement il n’y a pas qu’un seul équilibre et cela n’empêche pas chaque interprétation d’être unique et toujours habitée !
Bonne pratique et n’oubliez pas de vous amuser !
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